Relier le monde intérieur au monde extérieur


La vie spirituelle est-elle une évasion de la réalité ?

Pour l’homme qui n’aspire pas, le plaisir éternel est la seule réalité. Pour l’homme qui aspire, l’expérience divine est la seule réalité. Pour celui qui a réalisé Dieu, Dieu seul, l’Amant suprême, possède la Réalité, et ce Dieu seul, l’Aimé suprême, est la Réalité. La Réalité est également Dieu, la Lumière qui comble, et l’homme, la vie comblée.
Le royaume de la satisfaction transcendantale possède trois portes : l’amour, la liberté et la félicité. La porte-amour n’est ouverte qu’à celui qui sert l’humanité en larmes. La porte-liberté n’est ouverte qu’à celui qui sert l’humanité en lutte. La porte-félicité n’est ouverte qu’à celui qui sert l’humanité qui s’éveille.
La vie spirituelle n’est jamais une évasion de la réalité. Bien au contraire, elle est l’acceptation consciente et spontanée de la réalité dans sa totalité. Pour un chercheur spirituel, l’idée de fuir la réalité est une absurdité et une impossibilité, car la spiritualité et la réalité ont besoin l’une de l’autre pour se réaliser suprêmement. Sans l’âme de la réalité, la spiritualité est pire qu’inutile. Sans le souffle de la spiritualité, la réalité est pire que dénuée de sens. La spiritualité avec la réalité signifie l’imploration intérieure de l’homme pour la parfaite Perfection. La réalité avec la spiritualité signifie la Volonté toute-puissante de Dieu pour une manifestation complète et absolue.
L’acceptation de la vie dans une attitude divine n’est pas qu’une idée noble, elle est l’idéal même de la vie. Cet idéal de vie se réalise, se révèle et se manifeste à travers l’inspiration de Dieu qui élève l’âme et à travers l’aspiration de l’homme qui construit la vie. L’acceptation de la vie est la fierté divine de la véritable spiritualité. Vivre une vie spirituelle est notre seule responsabilité.
L’évasion est une pensée vile. Elle agit comme un voleur, comme le pire des voleurs. L’évasion a facilement et librement accès au cœur des ténèbres obscures. Celui qui nourrit l’idée d’une évasion immédiate commet un suicide lent.
Non, nous ne devons pas nous évader lâchement. Nous devons toujours être courageux. Le courage divin est notre droit de naissance. Nous sommes les guerriers héroïques de la Réalité suprême, choisis pour lutter contre la nuit-ignorance grouillante, sombre et menaçante.

Question : Quelle est la valeur spirituelle de la terre ?

Sri Chinmoy : Ceux qui acceptent la vie, ceux qui acceptent Mère Terre comme quelque chose de réel, savent qu’ils ont un devoir à remplir ici sur terre. Ce devoir n’est autre que la réalisation consciente de Dieu. Tout le monde connaît Dieu inconsciemment. Mais un aspirant reconnaît consciemment la Présence de Dieu. Il médite sur Dieu et sa propre conscience se développe progressivement jusqu’à ce qu’il ressente la Présence de Dieu constamment et partout. Il considère qu’il est de son devoir de révéler la Présence de Dieu qu’il ressent et qu’il voit avec son propre cœur et ses propres yeux. Enfin, il ressent qu’il doit manifester sa réalisation de la Vérité la plus haute. Cette manifestation doit se faire ici sur terre et nulle part ailleurs. La réalisation de la Vérité la plus élevée doit se faire ici et la manifestation de la Vérité, de la Vérité supérieure, de la Vérité ultime, doit se faire ici sur terre.
Un véritable chercheur, un chercheur sincère, est un héros divin. Il doit se battre contre l’obscurité fourmillante et il doit accomplir la Volonté de Dieu ici sur terre. Autrement, la terre restera la terre et le ciel restera le ciel. Il y aura toujours un gouffre immense entre ciel et terre. Cette terre qui est nôtre doit être transformée en ciel, en un endroit de Joie, de Paix et de Félicité.
Nous ne devons pas renier le corps. Les Maîtres spirituels indiens qui ne s’intéressaient pas au corps disaient : « Méditez, restez dans l’autre monde, réalisez Dieu et ensuite, quittez le corps. » Mais si vous aimez Dieu et si vous voulez vraiment servir Dieu, c’est ici sur terre que vous trouverez l’opportunité en or de Le manifester et de Le réaliser. Si vous obtenez la réalisation et que vous dites à Dieu : « Je ne veux pas travailler pour Toi. Je suis fatigué, épuisé, complètement épuisé ; je veux me reposer », Dieu vous accordera peut-être le repos. Mais le véritable héros divin dira : « J’ai travaillé dur, mais maintenant je voudrais offrir les fruits de ma réalisation au monde entier. » Dieu lui répondra : « Va travailler sur terre. Fais-le. »
Notre voie est la voie de l’acceptation. Acceptation de quoi ? Acceptation de ce monde matériel. Tout en travaillant dans la matière, l’esprit doit chanter le chant de l’Immortalité. La vie matérielle et la vie spirituelle doivent aller de pair. La vie matérielle ne peut être parfaite qu’en écoutant les ordres intérieurs de l’âme. Nous devons accepter le monde tel qu’il est, mais nous ne devons pas penser que le monde a accompli sa tâche. Non, loin de là. Nous devons travailler et travailler pour la conscience de la terre. Nous devons la libérer des limites, des imperfections, des attachements et de l’ignorance.

Question : Lorsque vous dites que la terre peut facilement être transformée en Ciel, est-ce que vous voulez dire qu’elle peut l’être également physiquement ?

Sri Chinmoy : Il faut comprendre ce que l’on entend par Ciel. Le Ciel n’est pas un endroit avec de grandes maisons, des palais ou de grandes propriétés. Non ! Le Ciel se trouve dans notre mental. Lorsque nous avons des pensées divines, nous sommes au Ciel. Lorsque nous invitons la jalousie, des pensées du vital inférieur ou d’autres pensées non divines, nous sommes en enfer. Le Ciel et l’enfer sont des états de conscience.
Que possédons-nous tous ? Une conscience. C’est à travers la conscience que nous voyons la réalité. Lorsque nous prions, lorsque nous aspirons, notre conscience finie devient infinie. Notre conscience qui soi-disant n’aspire pas commence à aspirer. C’est cela, le Ciel. Si nous disons que tout va devenir divin, c’est certainement vrai. Nous aurons une vie divine, mais cela ne veut pas forcément dire que nous aurons une vie physiquement immortelle. Mais lorsque nous pensons au Ciel, nous pensons que tout est immortel. La conscience du Ciel est en fait immortelle. Mais nous pensons très souvent que le physique restera immortel puisque le Ciel est quelque chose d’immortel. Mais ce corps physique vivra soixante, quatre-vingt, cent ou peut-être deux cents ans, et puis s’en ira.
La conception même du Ciel est quelque chose de brillant, lumineux, ravissant, et en même temps, d’immortel. Mais il faut savoir ce qui est immortel en nous. C’est la conscience, la conscience qui aspire. Lorsque nous disons que la terre peut être transformée en Ciel, cela veut dire que tout ce qui, en nous ou dans le monde, est encore imparfait, obscur ou qui n’aspire pas peut être transformé un jour en perfection.

Question : Pouvez-vous expliquer pourquoi l’âme ne peut évoluer que sur la planète Terre ?

Sri Chinmoy : L’âme ne manifeste que sur cette planète parce que cette planète est en évolution, autrement dit, elle est en progrès constant, elle se réalise constamment. Si on veut faire des progrès, si on veut aller au-delà, c’est ici qu’on peut le faire. Dans les autres mondes, les êtres sont satisfaits de ce qu’ils ont déjà accompli. Ils n’ont pas envie d’aller un pouce au-dessus de leur réalisation. Mais ici sur terre, vous n’êtes pas satisfait, je ne suis pas satisfait, personne n’est satisfait de ses résultats. L’insatisfaction ne signifie pas que nous sommes fâchés contre quelqu’un ou contre le monde. Non ! L’insatisfaction signifie que nous aspirons constamment à nous dépasser et à aller au-delà. Si nous possédons une goutte de lumière, nous voulons en avoir davantage. Nous voulons toujours grandir.
Cette planète a une urgence intérieure. D’une part, elle est obscure, ignorante, et ne s’intéresse pas à la vie divine. Mais d’autre part, elle a un sentiment d’urgence dont la plupart des gens ne sont pas encore conscients. Lorsque l’urgence intérieure se manifeste, nos capacités comme nos réalisations sont infinies. Et lorsque nous réalisons l’Infini, nous surpassons naturellement tout ce qu’ont accompli les autres mondes.

Question : Y a-t-il un lien entre le monde intérieur et le monde extérieur ?

Sri Chinmoy : Oui, il y a un lien entre le monde intérieur et le monde extérieur. La plupart du temps, nous ne faisons pas attention au monde intérieur et nous restons à la surface. Nous bougeons, nous parlons, crions et vivons vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans le tourbillon du monde extérieur. Nous n’avons même pas cinq minutes pour méditer ou nous concentrer sur notre monde réel, notre monde intérieur.
Un véritable chercheur spirituel sait que le monde extérieur ne trouve son véritable sens que s’il nourrit le monde intérieur. Le monde extérieur est le corps. Nous nourrissons le corps trois fois par jour sans faute : nous l’avons toujours fait et continuerons à le faire jusqu’à notre dernier jour. Mais à côté de cela, il y a un enfant divin au fond de nous, qui s’appelle l’âme, et nous n’avons pas le temps de nourrir cet enfant. Mais tant que l’âme, qui est la représentante consciente de Dieu en nous, n’est pas comblée, nous ne pourrons jamais être comblés dans notre vie extérieure.
Maintenant, comment établir le lien entre les deux mondes ? Nous pouvons facilement et consciemment les réunir grâce à l’art divin de la concentration, l’art divin de la méditation, et l’art divin de la contemplation. Et à notre plus grande surprise, nous verrons que le monde extérieur, aujourd’hui rempli de complexité et de disharmonie, devient inévitablement harmonieux, simple, sincère et authentique. La vie intérieure a la capacité de simplifier les complexités de la vie extérieure. Les mondes intérieur et extérieur doivent aller ensemble, sinon, que se passera-t-il ? La vie intérieure devra attendre des siècles pour offrir la Vérité de Dieu au monde entier et la vie extérieure restera un désert aride pendant des siècles.
Il y a un lien évident entre ces deux mondes. Nous devons ressentir consciemment ce lien et nous devons trouver et renforcer ce lien avec la détermination de notre âme et avec le service dévoué et la bonne volonté de notre corps. Pour l’instant, le corps écoute le mental. Lorsque le mental dit : « Va par ici », le corps obéit. Et dès que le mental dit : « Non, non, c’est le mauvais chemin, suis une autre direction, va par là », le corps change de direction. Il est ainsi prisonnier de ces limites. Mais bien au-delà du domaine du mental, se trouve l’âme. Cette âme est inondée de lumière. Si nous essayons consciemment d’avoir libre accès à l’être intérieur, l’âme, sa lumière viendra naturellement en avant et nous aidera à chaque instant à faire face aux ténèbres obscures en nous et autour de nous. Nous finirons par voir que soit nous avons transformé cette obscurité en lumière, soit nous sommes à des millions et des millions de kilomètres de l’obscurité et nous baignons dans l’océan de la Lumière infinie.
Si donc le corps physique écoute l’âme au lieu d’écouter le mental suspicieux, sophistiqué, complexe, destructeur et sans aspiration, le lien entre les deux mondes se renforcera à chaque instant et ils se compléteront l’un et l’autre. Autrement dit, le monde extérieur sera le char du monde intérieur et le monde intérieur sera le cocher du monde extérieur. Un char sans cocher est inutile, car le char ne peut avancer sans un cocher. Par ailleurs, un cocher sans char est également inutile. Ils sont donc tous les deux nécessaires et aussi importants l’un que l’autre. De la même façon, les deux mondes, intérieur et extérieur, sont de même importance.